LA SECURITE AU PRIX DE LA LIBERTE !
La loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, dispose en son article 20 :
I. ― Le livre II du même code (Code de la sécurité intérieure) est ainsi modifié :
« Chapitre VI - Accès administratif aux données de connexion - Art. L. 246-1. :
« Pour les finalités énumérées à l'article L. 241-2 (c’est-à-dire Article L241-2 Créé par Ordonnance n°2012-351 du 12 mars 2012 « Peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, dans les conditions prévues par l'article L. 242-1, les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques ayant pour objet de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de l'article L. 212-1 ».), peut être autorisé le recueil, auprès des opérateurs de communications électroniques et des personnes mentionnées à l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que des personnes mentionnées aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques, y compris les données techniques relatives à l'identification des numéros d'abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l'ensemble des numéros d'abonnement ou de connexion d'une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu'aux communications d'un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications.
« Art. L. 246-2. - I. ― Les informations ou documents mentionnés à l'article L. 246-1 sont sollicités par les agents individuellement désignés et dûment habilités des services relevant des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l'économie et du budget, chargés des missions prévues à l'article L. 241-2.
« II. ― Les demandes des agents sont motivées et soumises à la décision d'une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre. Cette personnalité est désignée pour une durée de trois ans renouvelable par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, sur proposition du Premier ministre qui lui présente une liste d'au moins trois noms. Des adjoints pouvant la suppléer sont désignés dans les mêmes conditions. La personnalité qualifiée établit un rapport d'activité annuel adressé à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Ces décisions, accompagnées de leur motif, font l'objet d'un enregistrement et sont communiquées à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
« Art. L. 246-3. - Pour les finalités énumérées à l'article L. 241-2, les informations ou documents mentionnés à l'article L. 246-1 peuvent être recueillis sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel par les opérateurs aux agents mentionnés au I de l'article L. 246-2.
« L'autorisation de recueil de ces informations ou documents est accordée, sur demande écrite et motivée des ministres de la sécurité intérieure, de la défense, de l'économie et du budget ou des personnes que chacun d'eux a spécialement désignées, par décision écrite du Premier ministre ou des personnes spécialement désignées par lui, pour une durée maximale de trente jours. Elle peut être renouvelée, dans les mêmes conditions de forme et de durée. Elle est communiquée dans un délai de quarante-huit heures au président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
« Si celui-ci estime que la légalité de cette autorisation au regard des dispositions du présent titre n'est pas certaine, il réunit la commission, qui statue dans les sept jours suivant la réception par son président de la communication mentionnée au deuxième alinéa.
« Au cas où la commission estime que le recueil d'une donnée de connexion a été autorisé en méconnaissance des dispositions du présent titre, elle adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce qu'il y soit mis fin.
(…) IV. ― Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2015 ».
Cela signifie en clair qu’à compter du 1er janvier 2015, toute administration relevant des ministres chargés de la sécurité intérieure (justice et intérieur), de la défense, de l'économie et du budget ( administration fiscale), pourra sur autorisation d’un fonctionnaire placé auprès du 1er ministre et désigné par lui, obtenir des opérateurs de communication électroniques ( GOOGLE, ORANGE, WANADOO etc..) toutes informations sur la géolocalisation des portables, les destinataires et origines de tous appels téléphoniques et calendrier des appels téléphonique, sans recours au juge préalable – à l’envers de la direction qu’a pris la Cour de cassation récemment sur la compétence exclusive du juge du siège en cette matière.
Il s’agit d’informations pour continuer les enquêtes et non pas de constitution de preuve et pour le téléphone cela se limiterait exclusivement au contenant pas au contenu selon le sénateur, président de la commission des lois.
Mais ce qui est beaucoup plus grave, c’est que cette interception déjà prévu par un texte plus ancien pour le téléphone sans trop de garantie, a été élargie par ce texte – sous couvert de sécurité intérieur et de lutte contre le terrorisme et le blanchiment – aux «informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques, » brefs à tous documents ayant transités par internet, message ou pièces jointes : cette fois, il s’agit du fond pas du contenant.
L’exemple américain, nous a donc dans un premier temps engagé à pousser des cris d’orfraie en vain, puis à trouver finalement utile que l’idée soit excellente, et d’en suivre le principe pour l’appliquer chez nous : les derniers avatars du rêve américain.
Ne soyons pas naïf, cela s’est peut-être toujours pratiqués pour nourrir les notes blanches des services de renseignement locaux ou nationaux, mais si ce texte a été voté – sans aucun recours devant le Conseil constitutionnel de la part unanime de nos parlementaires à ma connaissance - voilà que la méthode est maintenant légalisée, par une loi présentée comme un grand pas vers la sécurité intérieure et la liberté informatique.
Ne crée-t-elle pas une autorité indépendante choisie sur une liste de trois noms fournie par le premier ministre et responsable uniquement devant lui.
Les avocats, dont les relations avec leurs clients sont de droit confidentielles, doivent savoir que leurs échanges « internet » sont dorénavant susceptibles d’être appréhendés et contrôlés par les administrations ; cela s’est peut être fait avant, mais cela vient d’être légalisé par ce texte.
Certes, il ne pourra pas s’agir d’obtenir ainsi des preuves de ce qu’on pu nous écrire nos clients, mais d’en obtenir l’information pour continuer les enquêtes ou les provoquer, sur l’initiative du Ministère de l’intérieur, de la justice ou du fisc.
Rassurons- nous toutefois car cette loi votée pour protéger nos libertés prévoit que :
« Si celui-ci estime que la légalité de cette autorisation au regard des dispositions du présent titre n'est pas certaine, il réunit la commission, qui statue dans les sept jours suivant la réception par son président de la communication mentionnée au deuxième alinéa. »
Toutefois, Il n’a pas été prévu que celui dont ont appréhendera les mails en soit jamais informé et j’imagine qu’il aura quelques difficultés à estimer que tout cela est « sans doute » illégal et donc à s’en plaindre.
C’est bande jaune prévue pour les aveugles.
Heureusement d’ailleurs car s’en plaindre expose le 1er ministre au pire à une recommandation pour qu’il y mette fin !
Là est le génie législateur !
Car pour sûr si la victime se plaint avant que l’interception ne soit achevée, c’est qu’il s’agit forcément d’un individu qui espionne nos services de renseignements, et grâce à sa plainte la preuve de son méfait n’aura plus à être rapportée !
Quant à celui qui par miracles apprendrait après l’interception qu’il vivait chez BIG BROTHER, et qui irait s’en plaindre pour qu’on recommande au premier ministre de mettre fin à tout cela, je demande à le connaître pour le tenir comme un être extraordinaire dans la prescience et le ridicule.
Nous voilà donc en sécurité ? non pas tout à fait….
car il reste à installer des micros dans les confessionnaux, et les bois et taillis les jours de congé du garde-chasse, alors nous pourrons enfin jouir de la vraie sécurité, qui s’exprimera selon le vielle adage : « ferme ta gueule et tient toi droit et tout ira bien pour toi », principe dominant des régimes les mieux « sécurisés ».
Je dispose de l’original manuscrit d’un billet adressé par notre illustre confrère Pierre-Antoine BERRYER, grand avocat aux idées légitimistes très suspectes, qui écrivait au début XIX éme siècle à son client :
« rendez-vous là où vous savez, à l’heure habituelle, avec qui vous savez et pour l’affaire que vous connaissez ».
En ces temps héroïques la police de Fouché, étaient crainte, les plus farfelus prétendaient même qu’elles lisaient les courriers !
Quelle époque, même s’il y avait l’épopée d’Austerlitz pour vous faire avaler le tout…. !
Heureusement les temps ont bien changé depuis car Austerlitz est devenue une gare !